Claire
d' Anduse.
En greu esmay et en greu pessamen
An
mes mon cor, et en granda error,
Li
lauzengier e 'lh fals devinador,
Abayssador de joy e de
joven,
Quar vos, qu' ieu am mais que res qu' el mon sia,
An
fait de me departir e lonhar,
Si qu' ieu no us puesc vezer ni
remirar,
Don muer de dol, d' ira e de feunia.
Selh
que m blasma vostr' amor, ni m defen
Non podon far en re mon cor
mellor,
Ni 'l dous dezir qu' ieu ai de vos maior,
Ni l' enveya
ni 'l dezir ni 'l talen;
E non es hom, tan mos enemicx sia,
S'
il n' aug dir ben, que no 'l tenha en car;
E, si 'n ditz mal, mais
no m pot dir ni far
Neguna re que a plazer me sia.
Ja
no us donetz, belhs amics, espaven
Que ja ves vos aia cor
trichador,
Ni qu' ie us camge per nul autr' amador,
Si m
pregavon d' autras donas un cen;
Qu' amors, que m te per vos en sa
bailia,
Vol que mon cor vos estuy e vos gar,
E farai o; e, s'
ieu pogues emblar
Mon cors, tals l' a que jamais non l' auria.
Amicx,
tan ai d' ira e de feunia
Quar no vos vey, que quant ieu cug
chantar
Planh e sospir, per qu' ieu no puesc so far
A mas
coblas qu' el cor complir volria.
//
https://fr.wikipedia.org/wiki/Clara_d%27Anduza
Clara d'Anduze, est une trobairitz de langue occitane, sans doute issue de la famille des seigneurs d’Anduze, dans le Gard, est née aux environs de l'an 1200. Elle était aimée du troubadour Huc ou Uc de Saint-Circ, amour partagé.
Son existence n'est pas assurée, elle se base sur la razo d'Uc de Saint-Circ qui la mentionne et un poème qui lui est attribué publié dans un manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France, ms. C, BnF fr. 856.
En greu esmai et en greu pessamen
an mes mon cor et en granda error
li lauzengier e.l fals devinador,
abaissador de joi e de joven;
quar vos qu'ieu am mais que res qu'el mon sia
an fait de me departir e lonhar,
si qu'ieu no.us puesc vezer ni remirar,
don muer de dol, d'ira e de feunia.
Cel que.m blasma vostr' amor ni.m defen
non pot en far en re mon cor meillor,
ni.l dous dezir qu'ieu ai de vos major
ni l'enveja ni.l dezir ni.l talen;
e non es om, tan mos enemics sia,
si.l n'aug dir ben, que non lo tenh' en car,
e, si 'n ditz mal, mais no.m pot dir ni far
neguna re que a plazer me sia.
Ja no.us donetz, bels amics, espaven
que ja ves vos aja cor trichador,
ni qu'ie.us camge per nul autr' amador
si.m pregavon d’autras donas un cen;
qu'amors que.m te per vos en sa bailia
vol que mon cor vos estui e vos gar,
e farai o; e s'ieu pogues emblar
mon cor, tals l'a que jamais non l'auria.
Amics, tan ai d'ira e de feunia
quar no vos vey, que quan ieu cug chantar,
planh e sospir, per qu'ieu non puesc so far
ab mas coblas que.l cors complir volria.
Traduction de Raoul Goût et André Berry:
« En grave émoi et grave inquiétude ils ont mis mon cœur et aussi en grande détresse les médisants et les espions menteurs qui rabaissent joie et jeunesse car pour vous que j'aime plus que tout au monde ils vous ont fait partir et vous éloigner de moi à tel point que si je ne puis vous voir ni vous regarder j'en meurs de douleur, de colère et de rancœur.
Ceux qui me blâment de mon amour pour vous ou veulent me l'interdire ne peuvent en rien rendre mon cœur meilleur ni faire croître encore mon doux désir de vous non plus que mon envie, mes désirs, mon attente et il n'y a pas un homme, fût il mon ennemi que je ne tienne en estime si je l'entends dire du bien de vous, mais s'il dit du mal, tout ce qu'il peut dire ou faire ne me sera jamais plaisir.
N'ayez pas de crainte, bel ami qu'envers vous je n'aie jamais le cœur trompeur ni ne vous délaisse pour quelque autre amoureux, même si cent dames m'en priaient, car mon amour pour vous me tient en sa possession, et veut que je vous consacre et vous garde mon cœur ainsi je ferai, et si je le pouvais être mon cœur, tel l'a qui jamais ne l'aurait.
Ami, j'éprouve tant de colère et de désespoir de ne pas vous voir que lorsque je pense chanter, je me plains et je soupire parce que je ne puis faire avec mes couplets ce que mon cœur voudrait accomplir. »
En grèu esmai a été repris par:
Aiga Linda, album Barrutladas, interprété par Hervé Robert (chant, chifonie) et René Huré (clarinette).
Duo Dedoceo, concert Le chemin de Regordane, interprété par Pascal Jaussaud (chant, vielle à roue) et Valère Kaletka (guitare électrique).
À Anduze, un buste dans le parc des Cordeliers, porte son nom.
Clara d'Anduze trobairitz Un spectacle du gargamelatheatre; texte:
Anne Clément; mise en scène: Michel Froelhy
https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb33021783w.public
http://www.editions-alcide.com/livre-Petit_dictionnaire_des_%C3%A9crivains_du_Gard-328-1-1-0-1.html
https://archive.org/stream/posiesdeucdesa00ucde#page/n31/mode/2up
http://www.siefar.org/dictionnaire/fr/Clara_d%27Anduze/Fortun%C3%A9e_Briquet
Lettre à Clara d'Anduze par Lionel Bourg.
Lecture faite par Lionel BOURG à Grigny ( Rhône)
Cette lettre de 1989 écrite par Lionel BOURG est actuellement épuisée chez son Editeur Jacques BREMOND
(Ce dernier nous a joyeusement promis de la rééditer en claquant sa main contre celle de Lionel BOURG à GRIGNY -Rhône - le week-end dernier – Dont Acte …).
Je vous l'offre en attendant et pour inaugurer ce nouvel album qui sera le réceptacle de toutes les lettres écrites ou à écrire à toute sorte de Femmes Pathétiques... La liste en est, vous en conviendrez, immémoriale...
J’accueillerais toute lettre personnelle ou éditée dans cet esprit particulier. Une sorte de remise en écoute de voix s’adressant aux femmes de manière recevable et sensible à leurs limbes silencieuses.
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Revenir sur ses pas. Marcher comme si rien n'avait été. Comme si cette morne journée de février ne contenait pas toutes celles vécues ici ou ailleurs, là où la brume frange de ses apparitions des pierres que tant de passants foulèrent. Je me suis arrêté un instant. Tout était gris. Le ciel, la garrigue, les strates même, accumulées pour je ne sais quelle ferveur, les rues soudain plus tristes, ce jardin où, me promenant, je contemplais le singulier visage d'une femme morte depuis des siècles, et dont , inexplicablement, je ne pouvais abandonner le regard immobile.
A quoi songez-vous, Clara ? Et quel amour vous ronge ?
Vous demeurez en ces lieux, aussi improbable qu'aux temps où, folle peut-être, vous composiez des poèmes pour les dire en secret à celui que vous aimiez. Vous êtes là. Distante. Présente de toute cette distance qui tient en votre façon un peu hautaine de jauger le silence, cependant que vous semblez vouloir retenir le promeneur, mêlant à cette invite un refus péremptoire : déjà loin, si loin, vous savez sans doute que ne s'étreignent vraiment, après tant de leurres, que ceux qui délaissent à la poussière la peur de ne pas être aimés.
Si lointaine. Si proche pourtant. Et ce n'est pas facilement faire jouer les mots : vous découvrant une nouvelle fois, j'ai compris davantage en quelle inaccessible patrie résident celles que l’on désire de cet amour plus fort que les vaines raisons qui nous font exister.
J’ai marché. Il y avait le ciel, les nuages, le gris des calcaires, toute cette lumière vague des nuages où passe une tristesse qui ressemble à la seule forme admissible du bonheur. Voyez-vous, je n’éprouve jamais plus fortement le sentiment de vivre qu’en ces moments comme suspendus entre deux rives inconciliables. Il y faut cette brume. Ces pierres chiffrées. Ces traces dont il importe peu alors de connaître l’origine : elles sont là, métissant leurs langages, livrant leur impassibilité aux interrogations qui restent retenues. Elles disent une sorte de paix. Une manière de repos. Et si j’en relève les empreintes, collectionnant les figures énigmatiques, c’est sans doute parce qu’en ces gravures de rien, ces marques élémentaires, quelque chose n’en finit pas de me parler du monde qui, tangible, évident, n’en demeure pas moins dissimulé sous ses propres dehors, et barré, raturé par l’errance qui nous voue à rechercher une présence aussitôt dérobée.
Et je voudrais qu’il pleuve, maintenant, que le ciel fût pleinement gris, haché de ce bleu si sombre qu’il est à la nuit une espèce de supplique, avec, çà et là, ces trouées claires, ces passages miraculeux ouverts dans l’épaisseur des ombres et que des oiseaux seuls, souverainement seuls, toisent un instant avant de s’y engouffrer pour se jeter de l’autre côté du monde et des choses. Et la pluie tomberait. Longue. Interminable. Une pluie d’avril ou de septembre, une eau sous laquelle il me serait possible d’aller, hurlant des hymnes incongrus, des mots stupides, criant peut-être « je t’aime », ou « je me fiche de tout », ou « je vis », une pluie qui me ferait l’égal de cet arbre qui, d’avoir été mille fois dépouillé, d’abriter en son tronc, sous l’écorce, des insectes qui le ruinent, essaie de se tenir debout face à tout, face à cette détresse sans borne et cette inextricable beauté d’un ciel déchiré sur la terre.
Peut-être est-ce pour cela que je vous écris, Clara , pour cette déchirure. Pour ces regards que je ne puis croiser sans baisser les yeux, sans même savoir ce qui gît derrière eux, comme si, à l’extrémité de j’ignore quelle nuit, une neige tombait, dont je ne saurais retenir que d’infimes étoiles bientôt fondues entre mes doigts et pareilles à des larmes.
Puis à nouveau , le ciel. Les pierres nues. Et, devant moi, la lente, l’invincible crue de la lumière. Je vous ai longtemps contemplée. Me retournant une ultime fois, vous paraissiez sourire à l’inacceptable.
Derrière le parc, un chemin secret entre deux murs. Passage étroit, préludant à quelque initiation. Parmi les grès, des blocs de tuf fourmillant de traces végétales :réseau de feuilles, de tiges, morceaux de bois inscrits en creux, mémoire d’une boue sans âge où pourrissait la vie. Il y avait quelque chose de poignant dans cette sente. La certitude peut-être, irréfléchie, qu’on ne parvient jamais à combler la faille où l’on erre, rêvant à des visages ou fomentant, du plus loin de ses songes, des paradis brisés, des édens invivables.
Ma vie, Clara, qu’est-ce donc que ma vie ?
Une promenade obstinée sur une berge. Une déambulation hasardeuse.
J’aurai vu, de l’autre côté, la lèvre où je crus devoir vivre. Pour ne pas crever tout de suite. Pour continuer à marcher sous la pluie. Serrer tout contre moi cette femme que j’aime. Et si rien n’aura été qu’un trou béant, qu’une patiente, peut-être irrévocable déchirure, c’est ici, arpentant une à une les journées ordinaires, que je tente de faire de mes jours autre chose que leur banale insuffisance. Comme vous. Comme celle qui me sourit. Qui est là. Seule. Criblée d’amour et comme foudroyée par la douceur lancinante des étoiles.